Au cours des derniers 170 ans, beaucoup de personnes passionnées par la botanique ont contribué à l’étude de la diversité floristique du Gabon. Ce chapitre donne un aperçu chronologique de leurs principales activités et place celles-ci dans leur contexte.
L’étude de la diversité floristique d’une région repose avant tout sur la collecte et la conservation de spécimens, donc la constitution d’une collection d’herbiers. Dans de bonnes conditions, une pareille collection peut se conserver pendant des siècles, et c’est grâce à elle qu’on peut savoir quelles espèces de plantes vivent ou ont vécu dans le pays. Par les étiquettes, attachées à chaque spécimen, nous savons aussi par qui, quand et où celui-ci a été collecté. Un herbier nous donne ainsi une bonne image de l’exploration botanique d’un pays.
Jadis, l’inventaire des richesses botaniques d’un territoire sous les tropiques était généralement initié par la puissance coloniale. Le Gabon ne constitue pas une exception, bien que la France n’ait pas déployé de très grands efforts dans ce domaine.
En 1887, fut néanmoins créé à Libreville un Jardin d’essai pour les colonies françaises en Afrique. Il couvrait presque six hectares, était situé en plein centre de la ville actuelle — à peu près derrière la grande poste — et a fonctionné jusqu’au début du xxe siècle (Chalot, 1899). Ce jardin servait à étudier la croissance et la production de diverses plantes dans les conditions locales, notamment le tabac, le coton et diverses variétés de caféiers ou de plantes produisant du caoutchouc.
Cependant, bien avant la création de ce jardin d’essai, une exploration de la flore gabonaise avait débuté, poussée par la curiosité scientifique mais visiblement sans coordination.
Les toutes premières plantes gabonaises à être collectées le furent ainsi en 1846 par l’aide commissaire à la Marine, Edélestan Jardin (1822–1896). Il collecta autour de Libreville quelques dizaines de spécimens qui sont aujourd’hui encore conservés au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris. Dans les années qui suivirent, plusieurs botanistes collectèrent un petit nombre d’autres échantillons dans les environs de Libreville, mais la première collection importante (386 espèces) fut réalisée entre 1856 et 1864, également dans la région de Libreville, par le missionnaire normand, Charles Duparquet (1830–1888).
Le premier à effectuer des collectes en dehors de Libreville, fut l’Allemand Gustav Mann (1836–1916). En 1861 et 1862, celui-ci était au service d’une expédition britannique ayant notamment pour objectif la cartographie de la région frontalière entre le Gabon, la Guinée-Equatoriale et le Cameroun. Mann collecta environ 300 spécimens dans la région de la rivière Mouni et des Monts de Cristal, et 200 spécimens autour de l’estuaire du Komo. Sa collection fut étudiée par le fameux botaniste anglais J.D. Hooker qui travaillait alors au Jardin botanique de Kew à Londres ; elle comprenait beaucoup d’espèces nouvelles pour la science.
Peu après, en 1863 et 1864, le chirurgien de la Marine française, Marie Théophile Griffon du Bellay (1829–1908), collecta environ 450 spécimens autour de Libreville et à la pointe Denis qui furent étudiés par le botaniste Henri Baillon au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris.
Enfin, entre 1879 et 1882, le botaniste allemand Hermann Soyaux (1852–1928) collecta autour de la ferme de Sibang, alors encore un peu en dehors de Libreville, plus de 450 échantillons.
Au total, environ 200 espèces furent collectées durant cette première période. Beaucoup furent nommées d’après leurs collecteurs : Jardinea gabonensis (Poaceae), Duparquetia orchidacea (Fabaceae), Manniophyton fulvum (Euphorbiaceae), Griffonia physocarpa (Fabaceae) et Soyauxia gabonensis (Peridiscaceae).
Durant cette période de près de 60 ans, furent réalisées les premières collections importantes donnant pour la première fois une idée de la grande richesse botanique du Gabon.
Tout d’abord, il y eut François Thollon (1855–1896). Au service de l’explorateur italien Pierre Savorgnan de Brazza et plus tard du frère de celui-ci, Jacques de Brazza, il collecta quelque 2 000 spécimens dans la région frontalière entre le Gabon et la République du Congo. Comme la frontière entre les deux territoires fut par la suite déplacée, la plupart des collectes de Thollon proviennent de l’actuel territoire gabonais.
Ensuite, vint le missionnaire Théophile Klaine* (1842–1911). Passionné de botanique, celui-ci collecta entre 1882 et 1905 plus de 3 500 spécimens dans et autour de Libreville. Chargé de l’école de la mission Sainte-Marie pendant 47 ans, il joua un rôle très important dans la création du Jardin d’essai, entre autres en fournissant de nombreuses plantes provenant de son propre jardin. Il fut mis en contact avec le botaniste français Louis Pierre, de Paris, qui le poussa à étudier, en plus des espèces cultivées, les plantes sauvages. Ainsi naquit une collaboration à la fois unique et très fructueuse. Pierre put décrire de nombreuses espèces “nouvelles” sur base du matériel soigneusement collecté par Klaine, et régulièrement il nomma des espèces d’après Klaine pour rendre hommage à ce remarquable collecteur. Le meilleur exemple est l’okoumé, Aucoumea klaineana, l’arbre tant prisé sur le plan commercial. Klaine mourut en 1911 à Libreville où sa tombe reste visible sous la cathédrale Notre Dame de l’Assomption.
D’autres botanistes, tels que Jean Dybowski, Henri Lecomte, Auguste Chevalier et le mission-naire Henri Trilles, collectèrent dans la même période également plusieurs centaines de spécimens.
Puis, en 1907, l’administrateur territorial George Le Testu* (1877–1967) débuta son énorme travail de collecte. A l’occasion de ses nombreux voyages, cartographiés par Raynal en 1968, qui le menèrent dans tous les recoins du Gabon, il collecta jusqu’en 1934 plus de 5 600 spécimens. Quant aux récoltes, elles furent étudiées à Paris par François Pellegrin et constituent la base de son ouvrage sur la flore du Mayombe qui parut en 1928. Pellegrin aussi nomma de nombreuses espèces d’après leur collecteur, Le Testu.
En 1912 et 1917, Auguste Chevalier et son assistant Francis Fleury rajoutent un bon millier de spécimens, surtout de la région de l’Estuaire et des environs de Lambaréné.
Durant cette période, un total d’environ 18 000 plantes fut récolté. Il constitue une première base pour l’étude de la flore gabonaise. D’importantes publications scientifiques virent alors le jour et purent mettre en évidence la richesse exceptionnelle de la flore du pays. Hélas, plusieurs espèces trouvées durant cette période ne furent jamais retrouvées par la suite. La plupart proviennent de Libreville et ses environs où la végétation naturelle a en grande partie disparu.
Peu après la Seconde Guerre mondiale, le ministère de la France d’Outre-Mer créa à Libreville la Section des recherches forestières du Gabon (SRFG). Cet organisme mit en œuvre une recherche systématique sur les arbres et les forêts du Gabon. Ses activités étaient basées sur les travaux de l’inspecteur forestier H. Heitz débutés en 1927. Durant cette période, A. Aubréville, J. Gauchotte, J. Morel, D. Normand en F. Bernard collectèrent alors environ 2 500 spécimens, surtout dans l’Estuaire et le Moyen-Ogooué. Celles-ci furent l’embryon du premier herbier scientifique au Gabon qui prit forme au sein de la SRFG.
Vers la fin des années 1950, le Muséum national d’Histoire naturelle de Paris prit la décision de publier la Flore du Gabon. Constituée de nombreux volumes, cette série devait traiter quelques milliers d’espèces. Dans ce cadre, cinq missions furent organisées entre 1959 et 1969 par Nicolas Hallé et ses collaborateurs, Annick Le Thomas, Jean-François Villiers et G. Cours. Environ 5 900 spécimens furent alors collectés, surtout dans les régions de Makokou et de Bélinga.
En 1962, fut créé à Makokou la station française de recherche sur les forêts tropicales, qui développa une réputation mondiale. Elle fut dotée de son propre herbier, et Annette Hladik collecta encore 700 spécimens autour de Makokou. En tout, plus de 10 000 spéci-mens furent ajoutés aux col-lections gabonaises durant cette période.
A la fin des années 1960, une première expédition botanique au Gabon fut organisée par l’Herbarium Vadense, le laboratoire de taxonomie botanique de l’Université de Wageningen aux Pays-Bas, qui choisit le Gabon comme pays prioritaire pour ses recherches. Une collaboration fructueuse fut établie avec les autorités gabonaises. En 1984, à l’initiative de Jean-Noël Gassita, professeur de pharmacologie, fut créé un herbier au sein de l’Institut de pharmacopée et de médecine traditionnelle (IPHAMETRA)—un des instituts du Centre national de recherche scientifique et technique (CENAREST). Il deviendra plus tard l’Herbier national du Gabon. L’herbier du SRFG, redécouvert dans un des instituts du CENAREST, fut restauré et incorporé dans l’Herbier national.
Durant cette période, des botanistes et des étudiants de l’université de Wageningen récoltèrent 23 500 spécimens. Les principaux collecteurs furent Frans Breteler, Hans de Wilde et Jan Reitsma (qui travaillait pour le compte du New York Botanical Garden), mais Jos van der Maesen, Jan Wieringa et Marc Sosef récoltèrent aussi chacun quelques milliers de plantes. Le missionnaire néerlandais, Ard Louis, devint à partir de 1984 chef de l’herbier à Libreville et collecta encore 4 000 spécimens. Les efforts déployés durant cette période par Chris Wilks, le meilleur spécialiste des arbres du Gabon — hélas décédé prématurément — ne peuvent rester sous silence.
En 1983, Missouri Botanical Garden (MBG) lança un programme au Gabon en partenariat avec le CENAREST. Quelques années après, le MBG envoya Gordon McPherson pour réaliser des collectes dont une grande partie dans le cadre de l’étude de la flore du parc national de la Lopé. Dix ans plus tard, le Laboratoire de botanique systématique et de phytosociologie de l’Université Libre de Bruxelles (ULB) entama des activités au Gabon et récolta près de 2 000 échantillons d’herbier, notamment par Jean Lejoly, Ingrid Parmentier et Tariq Stévart. Enfin, en 1999, une équipe de Montpellier organisa l’expédition Radeau des cimes et permit ainsi à des chercheurs internationaux d’étudier la canopée des forêts gabonaises.
Cette période peut être qualifiée de “multi-culturelle” car elle est caractérisée par le fait que toujours plus de botanistes venant de toujours plus de pays, ainsi que quelques botanistes gabonais, récoltent des plantes et effectuent des recherches botaniques dans le pays. Des chercheurs de Belgique, de France, du Royaume-Unis, d’Espagne et des Etats-Unis découvrent le Gabon comme étant un paradis botanique, y effectuent des recherches et contribuent à l’amélioration des connaissances sur les plantes du pays.
Pendant que l’Herbier national et l’IPHA-METRA s’installent dans de nouveaux bâtiments à l’entrée de l’arboretum de Sibang, à 8 km du centre de Libreville, les botanistes de l’Université de Wageningen continuent imperturbablement leurs inventaires. Avec l’aide du ministère néerlandais de la Coopération, ils contribuent aussi à la formation des chercheurs et techniciens gabonais attachés à l’Herbier national.
Depuis 2001, le programme de Missouri Botanical Garden s’est considérablement dé-veloppé d’abord sous la houlette de Gretchen Walters, ensuite de Miguel Leal et finalement de Tariq Stévart. Un tournant majeur a été la participation au programme CARPE (Central African Regional Program for the Environment) financé par l’USAID pour soutenir le réseau d’aires protégées du Gabon. Pendant plus de cinq ans, les équipes du MBG ont inventorié et cartographié la diversité végétale des Monts de Cristal et du Massif du Chaillu, deux régions d’Afrique centrale comptant parmi les plus riches en espèces. Au cours de ces dernières années, un effort très important est aussi déployé par l’équipe du MBG en collaboration avec le Jardin botanique national de Belgique, l’Université Libre de Bruxelles et l’Institut de recherche pour le développement (IRD). En effet, Tariq Stévart, Ehoarn Bidault, Gilles Dauby, Olivier Lachenaud, Archange Boupoya et bien d’autres ont collecté plus de 7 000 spécimens depuis 2012, principalement dans la région du bas Ogooué et de la Ngounié. Pour la première fois, chaque plante est photographiée in vivo et cet exercice va contribuer très largement à la réalisation du présent livre.
Ensemble, tous ces botanistes se focalisent sur des régions encore non étudiées et augmentent les collections existantes de quelque 29 000 échantillons. Le nombre total de plantes récoltées au Gabon peut actuellement être estimé à 100 000. Ce nombre peut sembler élevé, mais chaque année des espèces, jusque là inconnues du pays ou de la science, sont découvertes. Pour obtenir une vision satisfaisante de l’ampleur de la flore du Gabon, on estime donc qu’il faudra au moins trois fois plus de collectes. Aujourd’hui, environ 5 300 espèces de plantes vasculaires sont connues dans le pays, mais on estime que leur nombre réel dépasse largement les 7 000.
La figure 41 donne une idée de la répartition géographique des efforts de collecte. Elle montre qu’il existe une nette concentration des récoltes dans les régions de Libreville, Rabi, Tchimbélé, Kinguélé, Makokou, Bélinga et quelques autres endroits, mais qu’il subsiste des régions où les collectes restent rares ou inexistantes. La figure 42 donne une idée de la quantité de plantes collectées aux diverses périodes.
L’Herbarium Vadense de l’université de Wageningen s’est employé depuis les années 1990 en collaboration avec l’Herbier national du Gabon, le Missouri Botanical Garden et le Muséum national d’Histoire naturelle de Paris à digitaliser toutes les données accompagnant les plantes collectées au Gabon. En ce moment, les données de 95 % des échantillons sont ainsi disponibles via l’Internet (http://herbaria.plants.ox.ac.uk/bol/Gabon/Home/Index). Grâce à la géolocalisation de la majorité des spécimens, il est aussi possible de générer des cartes de distribution des espèces. De plus, cette base de données a permis de rédiger une première check-list des plantes vasculaires du Gabon (Sosef et al., 2006). Cette base de données et la check-list constituent ainsi des appuis très importants à la rédaction de la Flore du Gabon dont la publication a été reprise par l’Herbarium Vadense. Dans ce but, une nouvelle équipe de rédaction, comprenant des chercheurs de divers pays ainsi que des Gabonais, travaille à l’achèvement de cette tâche immense, prévu actuellement pour 2020. Depuis 2014, les volumes de la Flore sont publiés conjointement par le Naturalis Biodiversity Center de Leiden aux Pays-Bas et le Jardin botanique de Meise en Belgique (l’ex-Jardin botanique national de Belgique).
Au Gabon, l’Herbier national gère maintenant environ 50 000 spécimens de plantes. Mais la collecte de plantes continue inlassablement et régulièrement de nouvelles espèces sont décrites. Depuis 1990, celles-ci sont publiées, entre autres, dans la série Novitates Gabonensis dont 80 fascicules ont été publiés à ce jour. Autrement dit, l’exploration botanique du Gabon connaît déjà une longue histoire mais est loin d’être terminée.